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À l’aube de la Modernité

Les Réalistes

La collection Lévy s’ouvre chronologiquement avec un courant majeur de l’art européen né au milieu du 19e siècle : le Réalisme. Délaissant l’exaltation des passions propre aux Romantiques, ces artistes s’attachent à représenter, sans fard, le monde qui les entoure. Les scènes de la vie ordinaire, notamment le travail du petit peuple, ouvriers et paysans, remplacent les sujets mythologiques, religieux ou historiques. 

Dans les années 1850, Honoré Daumier ose ainsi peindre des jeunes femmes dénudant leurs jambes pour se rafraîchir dans la Seine, tandis qu’Edgar Degas choisit, lui, de sculpter une scène du quotidien, dans un réalisme cru : la toilette. Les portraits évoluent également sous l’impulsion de ce mouvement artistique. L’Homme au nez cassé d’Auguste Rodin tranche avec l’académisme de son époque par son refus de toute idéalisation. Le modèle était d’ailleurs un vieil homme pauvre dénommé Bibi. La représentation par Jean-François Millet d’Augustine Fournier, née Doré, porte la marque d’un art sobre, où les traits du modèle sont attentivement décrits, jusqu’à la raideur. Cette monochromie brune se retrouve dans les portraits d’Eugène Carrière où les traits vaporeux des visages d’un enfant et de Clémenceau ressortent dans un réalisme intimiste. De même, Gustave Courbet montre son ami, le philosophe Marc Trapadoux, dans une attitude nonchalante, au milieu d’objets épars. Pourtant, ce réalisme n’exclut pas un certain lyrisme, notamment dans le traitement de la matière. Dans son Paysage de neige, celui qui est souvent considéré comme le chef de file de ce mouvement, projette ainsi, dans les vues enneigées de sa Franche-Comté natale, des gerbes d’une peinture épaisse qui noie les formes du paysage, pour n’en retenir que des accents de lumière. 

Impressionnisme et Postimpressionnisme

L'Impressionnisme naît dans le dernier quart du 19e siècle. Les peintres impressionnistes partagent avec les Réalistes le goût pour les sujets tirés de l’observation du monde qui les entoure.  L’invention du tube de peinture leur permet de sortir de leur atelier, devenant des peintres de plein air. Leurs œuvres, souvent des paysages, visent à traduire des sensations, notamment liées à la couleur. Par son traitement de la fumée, la Banlieue de Georges Seurat témoigne de cet héritage. Les lignes verticales et horizontales marquées sont tempérées par la touche mouvementée qui annonce déjà le pointillisme dont Seurat est l’un des plus éminents représentants. Dans le Jardin vu d’une fenêtre de Maximilien Luce tout autant que dans le plus tardif Paysage néo impressionniste de Jean Metzinger, des touches divisées ou points de couleur pure sont juxtaposées sur la toile. Le mélange, qui crée la tonalité souhaitée, ne se fait plus sur la palette mais directement dans l’œil du spectateur.

Paul Gauguin et les Nabis

Le mouvement des peintres Nabis (qui signifie « prophètes » en hébreu) voit le jour à la fin du 19e siècle. Ces férus de spiritualité se définissent comme les annonciateurs d’une rupture radicale, d’un renouvellement de la peinture. Le couple Lévy a réuni un ensemble d’œuvres, souvent atypiques, émanant de ses principaux membres : Pierre Bonnard, Maurice Denis, Édouard Vuillard, Ker-Xavier Roussel ou le Suisse Félix Vallotton.

S’étant rencontrés sur les bancs de l’Académie Julian, école d’art privée parisienne, ils s’inspirent de la leçon de Paul Gauguin. À travers lui, ils apprennent à se détacher de l’imitation illusionniste du réel, tant réaliste qu’impressionniste, pour privilégier la vision personnelle, subjective de l’artiste. 

Cette « libération » est celle des formes et des couleurs, le tableau étant, selon la célèbre formule de Maurice Denis, « essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ».  Les œuvres des Nabis se distinguent par des formes épurées à la manière de Maillol dans son Nu féminin debout mais aussi et surtout par de larges aplats de couleurs. L’Africaine de Vallotton joue d’ailleurs de la tension des contraires, entre aplats de couleurs et effets de matière, entre réalisme et idéalisme. 

La rupture avec l'Impressionnisme apparaît dans le choix des sujets. Aux paysages sont préférés les portraits, tant ceux d’amis comme le Portrait de Degas par Denis que ceux d’inconnus, mais aussi les scènes d’intérieurs comme les Coquelicots de Bonnard. Cette nature morte de « Bonnard, le nabi japonard » illustre, par sa composition audacieuse, structurée par le jeu de verticales et par la diagonale de la rambarde, le goût des Nabis pour les estampes japonaises. Maurice Denis représente, quant à lui, des sujets religieux. Tous accordent une grande importance à l’aspect décoratif.

Représenter la modernité

Siècle de l’âge industriel, le 19e siècle a profondément transformé le visage de la France mais aussi de l’art. Les voies de la rupture pour les jeunes peintres passent par un renouvellement des sujets. L’idéal classique ou mythologique laisse place à d’autres thèmes dignes d’être représentés, comme les villes et leurs paysages changeants.

La modernité est un thème qui tenait à cœur à Pierre Lévy, amateur éclairé et industriel conquérant.

Issu du monde ouvrier de Montparnasse, Maximilien Luce est l'un des poètes de cette urbanité triomphante. Les Terrassiers sont ainsi placés au premier plan, devant la ville qu’ils ont contribué à bâtir. À l’instar de Monet, Auguste Chabaud peint l’un des temples de la civilisation moderne, la Gare, mais aussi sa face plus obscure avec les maisons closes à travers le portrait d’Yvette. Délaissant ses habituelles scènes d’intérieur bourgeois, le Nabi Vuillard représente l’effort de guerre à travers deux vues d’usines, Usine de fabrication d'armement, effet de jour et effet de nuit. Lampes électriques, poutres en acier et machines dont on devine le fracas assourdissant, on retrouve dans ces œuvres un condensé de la modernité, dans un contexte de guerre industrielle. 

Les progrès technologiques, notamment la photographie née dans la première moitié du 19e siècle, participent à l’évolution de la peinture. Invité en 1916 par le propriétaire de l’usine, Vuillard fait des clichés qui lui permettent de multiplier les dessins et esquisses préparatoires à ses toiles. 

En 1905, un groupe d’artistes fait scandale au Salon d’Automne avec des toiles aux couleurs violentes: les « Fauves ». Ils doivent leur nom à une boutade du critique d’art Louis Vauxcelles. Cette appellation rapproche des peintres sans véritable cohésion, d’ailleurs la plupart se détachent dès 1908 du Fauvisme. Pièce maîtresse de la collection Pierre et Denise Lévy, cet ensemble de peintures est exceptionnel tant il rassemble les plus grands noms de ce courant. 

Les Fauves

Le fauvisme est surtout affaire de génération et d'amitiés. En 1900, ses deux principaux représentants, Henri Matisse et André Derain, ont respectivement trente et un ans et vingt ans.  Dans cette « cage aux fauves » se trouvent notamment Maurice de Vlaminck, Raoul Dufy, Georges Braque ou encore, venu d’Hollande, Kees van Dongen. Alors que l'Impressionnisme connaît son apogée, ces jeunes artistes expérimentent une autre voie, quitte à choquer : celle d’une couleur libérée de tout réalisme, reflet des émotions. 

Les couleurs des Fauves, vives et pures, posées par taches ou en aplats sont, selon le mot de Derain, des « bâtons de dynamite ». Prenant directement les couleurs du tube pour les appliquer sur la toile, Vlaminck crée des œuvres dégageant une grande énergie, comme les Châtaigniers à Chatou où se juxtaposent le vert, le jaune d’or, le rouge ou encore le violet. 

Futur ami intime de Pierre Lévy, Derain entreprend trois voyages à Londres entre 1906 et 1907 d’où il tire une série de toiles. L’horloge du célèbre Big Ben se revêt d’un bleu vif, tandis qu’Hyde Park se construit autour du contraste des aplats roses et verts des allées et de la pelouse.