Composé de 1800 œuvres, le fonds d’arts graphiques est à l’image des collections de peinture et sculpture en offrant un panorama dessiné de figures, paysages, objets… allant des grands maîtres à des artistes mal connus, de Delacroix aux plus contemporains. Au sein de la donation Lévy, les arts graphiques occupent une place importante avec près de 1400 œuvres. Depuis l’ouverture du musée, des acquisitions et dons successifs sont venus l’enrichir jusqu’à la remarquable donation Buttner en 2011.
Œuvres fragiles et sensibles à la lumière, les dessins, gravures et aquarelles ne sont présentés qu’à la faveur d’accrochage temporaire. A l’horizon du printemps 2020 et dans le cadre de la rénovation du musée d’Art moderne, ce dernier se verra doter d’un cabinet d’arts graphiques accessible en permanence.
Un aspect essentiel du fonds Lévy est la volonté de posséder des dessins qui mettent en évidence le processus de création. De par leur proximité avec les artistes, voire les profondes amitiés développées avec certains d’entre eux, les Lévy ont tenu à leur acheter des dessins, ces derniers traduisant le travail préparatoire qu’ils étaient les seuls à pouvoir observer régulièrement.
Ce phénomène se vérifie particulièrement pour les deux artistes dont ils furent les plus proches, Maurice Marinot et André Derain. Concernant Marinot, ils ont collectionné ses verreries tout comme ses tableaux, qu’il a pourtant gardés secrets tout au long de sa vie, privilégiant ainsi la visibilité de son œuvre de verre. Ses dessins, seconde facette cachée de son œuvre, forment un ensemble de sept cent quatre-vingt feuilles qui reflètent tout autant le travail d’études des motifs de ses verreries que les moments passés aux côtés des Lévy.
Les dessins sont plus ou moins aboutis, certains se résumant à une ligne jetée sur le papier, d’autres traduisant un degré d’aboutissement que vient couronner la couleur. La vie des Lévy y est déclinée sous toutes ces formes, du portrait classique aux scènes de la vie quotidienne, que ce soit Pierre Lévy dormant dans son fauteuil ou Denise lisant. Il a notamment représenté dans de nombreux dessins leurs cinq enfants, les montrant de la naissance à l’âge adulte. Quelques scènes plus rares méritent d’être dévoilées tel ce magnifique portrait de couple intitulé Anniversaire ou ce dessin insolite de Pierre et Denise de dos dans la voiture les conduisant à Valencay.
Concernant André Derain, l’ensemble de près de cent quarante dessins dévoile son processus de création ininterrompu, les dessins précédant aussi bien un tableau qu’une céramique. Un même thème peut faire l’objet de dizaines d’esquisses avant de servir à la création d’une peinture. Certains ont été les prémices d’un travail d’illustration. D’autres peuvent tout simplement être considérés comme des œuvres en soi.
Un autre fonds important est celui d’un artiste moins connu mais non moins talentueux, Georges Kars. Les Lévy ne l’ont pas connu directement mais ont acheté les peintures et les quelques cent cinquante dessins présents au musée aux trois ventes de juin et octobre 1966 consacrées à l’artiste dont deux concernaient la dispersion de son atelier. Son œuvre graphique est marquée par une grande variété de styles et de sujets qui révèlent une excellente maîtrise technique et un style personnel affirmé. Ces dessins de jeunesse se jouent déjà de thèmes pourtant plus que classiques par la finesse du modelé et du dégradé. Ceux-ci contrastent avec les scènes de la vie moderne qu’il dépeint dans un style plus caricatural ou dans des couleurs vives appliquées en lavis. Cependant, les dessins les plus fascinants sont très certainement ses portraits d’inconnus que l’artiste parvient à doter d’une présence troublante.
En dehors de ses fonds remarquables, les Lévy ont également collectionné de manière ponctuelle des œuvres des plus grands artistes modernes tel Henri Matisse, Amedeo Modigliani, Pablo Picasso, Robert et Sonia Delaunay, Georges Rouault, Jean Cocteau dont la diversité des styles n’entame pas une homogénéité du regard. Il est intéressant de considérer qu’ils ont acquis des dessins emblématiques de leur travail mais qu’ils se sont aussi attachés à un aspect plus secret, personnel, au travers du thème de l’autoportrait. A côté des autoportraits d’amis peintres tels que Marcel Gimond, André Derain, Georges Kars et Maurice Marinot, l’autoportrait de Tal-Coat semble un choix singulier. Cependant, sa présence dans les collections s’explique par le fait que les Lévy ont possédé, non pas un, mais deux autoportraits, ainsi qu’une dizaine de ses natures mortes et de ses paysages.
Les Lévy se méfiant de l’abstraction dont ils ne comprennent pas le développement, craignant un simple effet de mode, et qu’ils considèrent comme plus facile à réaliser que la figuration. Ainsi les collection de dessin est dépourvu d’oeuvres abrstraites.
En ce sens, la donation Jeanne Buttner, qui ne compte que quatre ou cinq œuvres antérieures à la Seconde Guerre mondiale, vient compléter remarquablement celle des Lévy en explorant ce versant de l’art moderne. Cette collection a été celle de Raymond Buttner, professeur d’allemand et fervent amateur d’art contemporain. Contrairement aux Lévy, il a construit sa collection avec peu de moyens mais les rejoint dans sa fréquentation assidue des galeries et des artistes de son temps ainsi que par sa pratique personnelle de l’art. La volonté des Buttner fut moins de collectionner les artistes classiques que de défendre et promouvoir la peinture contemporaine et plus précisément l’École de Paris, ce qui explique que la majorité des peintures et dessins de ce fonds datent des années 1950 et 1960. Les œuvres que le collectionneur possède sont « la création d’artistes venus de tous les pays du monde ».
Cette donation complète le regard des Lévy porté sur l’art français tout en soulignant l’ouverture de la scène artistique parisienne à l’international. Ce dialogue est d’autant plus vif que les deux collectionneurs ont pu posséder des œuvres d’un même artiste tel Jean Pougny ou Wols. Outre ces points de jonction, ce fonds met en avant l’art abstrait, en observant la moindre ramification que ce soit les signes de Paul Klee, l’abstraction géométrique d’Auguste Herbin, l’étrangeté de la peinture sous mescaline d’Henri Michaux, l’onirisme de Wols. La collection peut paraître disparate mais est indubitablement soutenue par un fil conducteur évident : la passion de Buttner pour la couleur qui peut se résumer par cette fameuse phrase de Cézanne : « Lorsque la couleur est à sa plénitude, la forme l’est aussi ».
Outre ces deux grandes donations, la collection s’est également enrichie de dons d’artistes, de leurs proches ou d’autres collectionneurs. Aux trois natures mortes cubistes des années 1910 d’Henri Hayden issues de la donation Lévy, s’est ajouté un remarquable ensemble d’une quarantaine de lithographies dont la plupart ont été données par son épouse en 1996. Celle-ci a notamment offert la série des Six marines de 1948 éditée une seule fois, les pierres ayant été ensuite effacées. La vie du fonds est également intimement liée aux expositions présentées au musée à partir de 1982. À la suite de l’exposition Francis Mockel, Peinture-Dessins-Gravures en 1988, l’artiste a donné au musée un ensemble de vingt-cinq aquatintes représentatives du jeu entre lumières et ténèbres qui caractérisent son œuvre.
Enfin, la présence de certains artistes au sein des collections a pu être renforcée par des acquisitions réalisées par la Ville de Troyes et par la Société des Amis du musée. L’eau-forte Degas et son modèle complète la vision du maître par Maurice Denis également auteur de Portrait du peintre Degas (1906) ; les deux lithographies de Maillol renvoient au travail préparatoire ayant précédé les sculptures du musée ; les deux lithographies de Van Dongen entrent dans la continuité de Portrait de Madame Claudine Voirol (1911) tandis que celle de Roux-Champion, Portrait de Maximilien Luce, met un visage sur l’artiste présent au musée avec deux tableaux.